Président de la Banque ouest africaine de développement, Serge Ekue était L’invité Afrique sur Radio France Internationale (RFI), hier, jeudi 19 décembre 2024. Avec Christophe Boisbouvier, le Président de la BOAD a abordé la situation de la banque, le financement climatique en Afrique, la sortie des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et autres. Votre journal vous propose ici l’intégralité de cet entretien.
M. le Président Ekue, bonjour. Beaucoup d’Africains sont déçus par le résultat de la COP 29 sur le climat, qui a débloqué quelque 300 milliards de dollars par an pour les pays du Sud à partir de 2035, alors qu’on en attendait le double. Est-ce que vous aussi, vous êtes déçu ?
En réalité, ma conférence a fixé un objectif beaucoup plus ambitieux. Donc, c’est quand même pas mal. Et je rappelle que cet objectif est de passer à 1300 milliards par an d’ici 2035.
Il s’agit là de combiner à la fois les contributions des secteurs public et privé, ce qui est une nouveauté. Et cet objectif, vous le voyez bien, reflète la reconnaissance des besoins croissants des pays en développement pour faire face aux défis climatiques. Alors, vous savez, je suis plutôt de nature optimiste et considère que le verre est à moitié plein. Mais la reconnaissance de la position des pays du Sud par les pays de Nord, c’est un pas important. Il s’agit maintenant de passer aux actes et d’aller beaucoup plus vite.
Mais tout de même, Serge, Ekue, la baisse générale de l’aide publique au développement de la part de beaucoup de pays du Nord et notamment de la France. Est-ce que ça ne vous préoccupe pas ?
Bien évidemment, c’est préoccupant. Je rappelle que les besoins financiers sont croissants en termes de ressources financières pour les projets d’adaptation et de résilience climatique. Alors, pour le moment, des mécanismes de financement pour lutter contre les changements climatiques, la protection de la biodiversité, la lutte contre la désertification, ces mécanismes existent. Alors, le débat, c’est qu’il faut que nous arrivions à nous entendre sur les modalités de financement par les pays du Nord. Nous devons arriver à des résultats concrets.
Les pays du Nord refusent de donner plus si la Chine et les riches pays pétroliers du Golfe ne mettent pas aussi au pot. Et de fait, est-ce que ces pays qui sont devenus riches ne sont pas devenus aussi de gros pollueurs et pourraient plus payer pour les pays du Sud ?
Certainement ! Vous savez, notre sujet, il n’est pas tellement là dans les pays du Sud. Notre sujet, c’est que le monde reconnaisse que c’est nous qui payons le prix des changements climatiques, le prix fort, et cette forme d’injustice doit cesser. Maintenant, je crois beaucoup au dialogue, je crois beaucoup à l’intelligence collective, et c’est cela qui nous permettra de sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Parmi les futurs pays bénéficiaires de la finance climat, est-ce que les pays les moins avancés ne risquent pas d’être les parents pauvres par rapport aux pays à revenu intermédiaire ?
C’est le risque. En définitive, l’injustice la plus forte ici, c’est que les plus faibles payent le prix le plus élevé. Malheureusement, c’est ainsi. Vous voyez le positionnement de la Banque ouest-africaine de développement, c’est précisément, de lutter contre cette injustice-là, en se dotant des meilleurs moyens techniques et financiers possibles pour aider à faire en sorte que le gap de financement qui est absolument abyssal, et je pèse mes mots, que ce gap se réduise le plus rapidement possible.
Donc, la Guinée-Bissau percevra moins que la Côte d’Ivoire ?
Oui, certainement. Mais vous savez, l’article 1 des statuts de la Banque stipule que nous devons travailler à l’équilibre de notre zone. C’est-à-dire que nous devons travailler à faire en sorte que ce soit l’Union qui gagne, et pas un pays contre un autre.
Et la réforme du FMI et de la Banque mondiale qui est en chantier depuis le sommet de Paris de l’année dernière, est-ce qu’elle pourrait permettre que vous, la BOAD, puissiez emprunter plus d’argent sur les marchés et que, par conséquent, vous puissiez ensuite prêter plus d’argent aux opérateurs économiques d’Afrique de l’Ouest ?
Oui, ça a commencé, vous savez, par le sujet des droits de tirage spéciaux, la redirection des droits de tirage spéciaux au profit des banques multilatérales de développement. Un rapport a été déjà établi, présenté au G20, qui reprend tous les sujets dits de dérisking, c’est-à-dire la façon avec laquelle il faut renforcer les fonds propres de nos institutions. Et de ce point de vue-là, la BOAD est plutôt, je le pense, un bon élève, a plutôt bien performé. Et ensuite, dérisquer une partie de notre portefeuille en travaillant avec des banques et des institutions mieux notées que la nôtre, notamment la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement. Ce sujet est sur la table. Je pense qu’il va évoluer. Nous avons besoin d’avoir la reconnaissance du travail qui est fait sur le terrain. Je dois aussi souligner, qu’en Afrique, nous avons créé, avec la Banque africaine de développement, Afrexim Bank, Trade & Development Bank, la BADEA, la Banque arabe pour le développement économique pour l’Afrique, nos frères de la Banque de développement des États d’Afrique centrale, nos frères de la BIDC, la Banque d’investissement de la CEDAO, la Development Bank of South Africa, un écosystème de banquiers qui discutent beaucoup entre eux, qui échangent beaucoup, qui partagent des risques, qui mutualisent des risques, qui syndiquent des risques et qui partagent la même vision que l’addition de nos bilans, l’addition de nos fonds propres peut nous permettre de sortir un peu plus notre Afrique de l’ornière en réglant 5 sujets principaux. Les sujets des infrastructures, les sujets de l’énergie, les sujets de l’agriculture, les sujets de l’habitat, notamment l’habitat social ou abordable et enfin le grand sujet qui est celui de l’éducation et de la santé. Cet écosystème est créé, nous travaillons ensemble et je pense que c’est ainsi que nous arriverons à régler, à faire que le secteur que j’ai évoqué tout à l’heure soit derrière nous, que nous puissions passer à autre chose.
Et dans votre plan stratégique 2021-2025, ce que vous appelez Joliba, est-ce qu’il y a un projet emblématique du côté des infrastructures en Afrique de l’Ouest ?
Oui, parce que le corridor fait partie, le corridor Lagos-Dakar en passant par Abidjan, etc. Voilà, c’est un des projets. Mais je rappelle aussi que nous travaillons à faire vivre la solidarité entre nous et nous travaillons beaucoup aux projets régionaux. Je demeure optimiste parce que notre Afrique et surtout notre sous-région d’Afrique de l’Ouest ici est en forte croissance, avec une population jeune et dynamique. Nos projets sont ambitieux, les taux de croissance sont bons. Donc, nous avons la faiblesse de penser que nous sommes le moteur de croissance du monde. Le monde est vieillissant, l’Afrique est singulièrement notre Afrique, avec un âge médian autour de 20 ans. Nous pensons que la force de travail, le moteur de croissance du monde est en Afrique de l’Ouest. Ceci est incontestable.
Parmi les pays qui sont actionnaires dans votre banque, il y a le Mali, le Niger, le Burkina Faso. Est-ce que les coups d’Etat dans ces trois pays ont nui à votre image et ont affaibli votre notation internationale ?
Ce que je peux vous dire, c’est qu’au bout de 4 ans, je suis président de cette institution depuis 4 ans, vous aurez noté que l’agence internationale Moody vient de confirmer notre note B2 à 1, qui est une note Investment Grade, assortie d’une perspective stable. Nous avions une perspective négative et nous venons de passer à une perspective stable. Ce qui veut dire que notre structure, notre banque a fait preuve de résilience, comme on dit en français moderne, et réussit, grâce à ses capacités, grâce à son énergie, grâce au leadership de ses dirigeants, à sortir son épingle du jeu. La tâche n’est pas facile, mais ça ne marche pas trop mal.
Donc vous n’êtes pas obligé d’emprunter à un taux d’intérêt supérieur à ce qu’il était auparavant ?
Tout le monde emprunte à un taux supérieur, mais la banque est agile. La banque est agile et nous savons nous adapter.
Suite aux dernières tensions entre la CEDEAO et les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel, est-ce que votre banque poursuit, comme avant, ses projets de développement au Mali, au Niger, au Burkina Faso, ou est-ce qu’elle est obligée de les réviser à la baisse ?
Les pays que vous mentionnez sont actionnaires. Bien évidemment, on fait très attention, on est prudent dans la façon avec laquelle nous travaillons, mais je vous le disais, notre union est solide. L’Union économique et monétaire ouest africaine est solide. Nous avons, je le rappelle, besoin de stabilité. Vous savez, l’argent n’aime pas le bruit, je suis assez d’accord avec cet adage. Depuis un an, la frontière est fermée entre le Niger et le Bénin, et du coup, le commerce Niger-Bénin est détourné vers le Togo.
Est-ce qu’au final, l’activité commerciale se maintient, ou est-ce qu’elle est quand même affectée par cette fermeture ?
Écoutez, pour ce que l’on en voit, nous maintenons le cap. Nous sommes proches de nos Etats, nous sommes proches du secteur public et du secteur privé. Nous veillons à apporter les meilleures ressources possibles pour financer les secteurs de développement que je mentionnais précédemment. C’est cela ma préoccupation première.
Et vous souhaitez bien sûr que les frontières puissent rouvrir…
Bien évidemment !
Transcription : B.W